directrice de Catry à Roncq, 46 ans

Dans le cadre de l’exposition Fibre féminine, nous avons rencontré Caroline Catry, 46 ans, descendante de la famille Catry, fondateur de la manufacture éponyme à Roncq. Aujourd’hui directrice de l’entreprise familiale, elle nous explique son point de vue sur la place des femmes dans l’entreprise familiale.

Ce qui fait notre force encore aujourd’hui, c’est le fait qu’on soit resté une entreprise familiale.

La manufacture Catry, spécialisée dans la fabrication de moquette de luxe, a été créée par le couple Catry un siècle plus tôt, en 1912. Cette manufacture s’inscrit dans l’histoire textile du nord de la France, et a été labellisée « Entreprise du Patrimoine Vivant » et « France Terre Textile » pour son savoir-faire traditionnel, la finesse de son point et la qualité de son tissage. Aujourd’hui, la manufacture Catry est la dernière entreprise de fabrication textile roncquoise encore debout. En 2008, Caroline Catry hérite de la direction de la manufacture de ses arrières-grands-parents ; elle fait alors partie de la quatrième génération de direction. Cependant, les femmes ont toujours eu une place importante dans cette industrie familiale : sa grand-mère par exemple, travaillait aux côtés de son grand-père, ses grandes tantes étaient bobineuses et piqûrières…

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L’épopée familiale

Moi je suis la quatrième génération de cette épopée familiale qui a été créée en 1912 par mes arrières-grands-parents. Il y avait mon arrière-grand-père mais il y avait aussi mon arrière-grand-mère, donc c’était déjà elle qui était à la tête de l’entreprise il y a plus de cent ans.

Je dirige l’entreprise depuis 2008 ; j’ai appris le métier pendant dix ans en entrant comme assistante de direction, et puis quelques années après, une fois que j’avais acquis tout ça, j’ai pu reprendre la direction, et plutôt développer les réseaux de distribution des produits Catry à travers des ouvertures de showrooms. En 1999, j’avais 28 ans, je n’étais pas du tout dans le textile avant puisque j’étais dans l’informatique, pendant quasiment dix ans. Pour le coup il y avait un vrai challenge.

Il y avait plus de femmes ; ici il n’y en a plus beaucoup, je pense qu’il y en a au niveau de la production, elles sont quatre. Il y a quand même quinze hommes, c’est quand même un métier d’homme. On a bien tenté de mettre des femmes mais sur les métiers à tisser, il y a une grosse partie de manutention, d’actions manuelles. Il n’y avait déjà pas beaucoup de femmes, enfin il n’y avait pas de femmes dans la partie tissage. Par contre en préparation, comme on a vu tout à l’heure : bobinage, ourdissage, etc, là il y a toujours eu des femmes, et des piqurières il y en a toujours eu, échantilloneurs, ça a toujours été des échantilloneuses. Donc il y a des métiers comme ça assez spécifiques qui tournent autour du tissage et qui sont plutôt féminins.

C’est vrai que mon but c’était quand même de pouvoir prendre la relève, à la limite ça coulait de source. Il y avait aussi une histoire générationnelle, dans le sens où mon père est un homme d’usine, vraiment quelqu’un d’ancré dans ces métiers. Il fallait absolument je pense quelqu’un a la direction qui puisse faire connaître à l’extérieur, à l’étranger, et puis promouvoir la marque un petit peu partout. Il y a toujours eu des femmes Catry, dans le sens où les créateurs étaient un couple, comme je disais, mes arrières-grands-parents, donc c’était Alphonse Catry et Claire Masurel. Ensuite il y a eu mon grand-père, mais avec ma grand-mère qui était toujours en back office, qui était là et qui gérait un petit peu tout. Il y a eu les sœurs de mon grand-père, donc mes grands tantes, qui étaient là, qui étaient bobineuses, piqurières, qui travaillaient vraiment dans l’atelier. Ensuite il y a eu mon oncle, puis mon père, et après il y eu moi. À partir du moment où on maitrise le produit, on maitrise la technique, ça passe, c’est plus facile. Mon frère, qui est rentré il y a trois ans ne s’occupe plus maintenant de la production. Peut-être que moi naturellement je mets de la distance par rapport justement à mon statut de femme. Ici pour moi ça s’est révélé important de vouvoyer : je vouvoie mon assistante. Il y a eu quand même cette espèce de distance naturelle par le vouvoiement qui permet de se faire respecter plus facilement. Parce que même si j’ai bien accueilli, que je n’ai jamais senti d’animosité par rapport au fait que je sois une femme, je pense qu’il en a certains qui n’en pensent pas moins. On a toujours été très proches des salariés. Je pense qu’ils ont été contents de voir qu’il y avait une histoire familiale qui continuait.

Moi je suis arrivée dans une période où il y avait des flux de commandes importants de grossistes. En 2003-2004 tout a basculé, plus personne ne stockait, et toutes les commandes devenaient spécifiques, que du sur mesure. Dans les années 2000 on a eu un petit peu le vent en poupe grâce à notre collection de tapis d’escaliers. Ce marché malheureusement s’est un peu éteint. Heureusement qu’on a su s’adapter, en ouvrant des showrooms, en développant les réseaux de distribution, en travaillant beaucoup plus à l’exportation. De quand je suis rentrée en 99, ça n’a plus rien à voir, mais en même temps il ne reste plus que nous, parce qu’à l’époque dans la région on était encore 3 ou 4 entreprises. Nous ce qui fait notre force encore aujourd’hui, c’est le fait qu’on soit resté une entreprise familiale et des gens passionnés, je pense que c’est ça qui fait la différence. Vingt ans en arrière, il fallait pousser des portes, il fallait sonner, il fallait… aujourd’hui tout peut se faire, je veux pas dire derrière un bureau, c’est pas le but, mais il y a vraiment moyen de communiquer et moi qui suis une femme de communication je pense que c’est là ou j’y trouve mon plaisir. Comme mon père était quelqu’un de moins communiquant que moi, il ne m’avait absolument pas annoncée dans l’atelier, parce que pour lui c’est naturel, ça ne nécessitait pas d’explication.

Un truc un petit peu pénible, c’est pas ici, c’est au niveau des groupes d’entreprise, c’est du réseau en fait, et bien souvent quand il y a des groupes comme ça qui sont formés, on peut être sur qu’il y a 99 % d’hommes et 1 % de femmes. Ce qui m’embête c’est qu’il viennent souvent nous chercher nous parce qu’on est des femmes et pas forcément pour nos compétences.

Alors ma grand-mère a travaillé ici jusqu’à l’âge de 80 ans, ils étaient tous là jusqu’à la fin.

Après, ce qu’elles racontaient c’est qu’elles respectaient beaucoup soit leurs maris, soit leurs frères, et donc c’était quand même l’homme qui avait le dernier mot ; mais malgré tout les femmes avaient quand même un pouvoir assez fort. C’était quand même des femmes de caractère d’après ce que j’ai pu comprendre, et qui menaient la barque. Elles menaient la barque tout en respectant la décision finale qui revenait à l’homme. Mais ce n’étaient pas des femmes soumises, dans le sens où elles étaient des petites mains : soit elles étaient responsables de service, soit la première génération, elles étaient à la direction.

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